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Infection en mer : attention, danger

Lors de la première partie de la traversée, nous avions raté un magnifique barracuda d’une vingtaine de kilos (d’après les dires de JB) qui avait fini par casser le bas de ligne. N’écoutant que son courage (ou son impatience après 4 ans sans pêche en Asie ? ou son inconscience ?), JB avait saisi le fil de pêche à mains nues et son combat avec le poisson avait laissé de profondes marques au niveau de la pliure de 2 doigts. Durant notre séjour aux Cocos Keeling, l’un des doigts ne s’était pas cicatrisé. A notre départ, le problème n’était toujours pas réglé et il a empiré dans les jours qui ont suivi, la partie enflammée s’étendant. Pendant 3 jours, il a essayé la pommade antibiotique matin et soir avec un pansement pour protéger, mais rien n’y faisait, le mal progressait et il avait désormais mal au doigt, avec des difficultés croissantes pour le plier. Nous avions même fait des marques au crayon pour voir si cela progressait vraiment, et à quelle vitesse. Et l’infection progressait, de manière non négligeable, visible entre le matin et le soir.

Cela devenait un vrai sujet d’inquiétude car si l’infection se propage alors que l’on est en pleine mer, on fait quoi ? Bien-sûr, nous avons un Iridium qui nous aurait permis d’appeler un médecin et éventuellement de faire appel aux secours pour l’évacuer en cas de problème, mais alors que faire du bateau ? eh oui, si JB est évacué, c’est avec ou sans Anik ? et moi, est-ce que je reste toute seule pour manœuvrer le bateau, maintenant que je m’y connais un peu plus ? … mais je ne suis pas encore au point, alors comment faire pour le ramener à bon port, surtout avec autant de jours de navigation devant moi ? Voilà les questions qui se bousculaient dans ma tête pendant ces jours où je voyais l’état de son doigt empirer, sans bien-sûr le dire à haute voix car ce n’était pas la peine de rajouter mon inquiétude à la leur, eux qui devaient déjà être bien conscients du problème que poserait une aggravation de l’infection. J’étais en train de me préparer dans ma tête à cette éventuelle responsabilité, que j’aurais prise sans hésitation s’il le fallait. Ce bateau est trop précieux, c’est leur maison !

Dieu merci, je n’ai finalement pas eu à assumer cela car Anik, étant greffée avec des médicaments anti-rejet, il y a toujours à bord des antibiotiques pour l’aider à combattre une infection auquel son système immunitaire très diminué ne pourrait faire face. Au vu de la progression rapide de l’infection, il a donc été décidé que JB ferai une cure de 8 jours d’antibiotique à large spectre*. Dès le lendemain du début de prise des antibiotiques, la situation avait l’air de s’améliorer, et cela s’est confirmé dans les jours suivants. Il a tout de même conservé plusieurs jours une large zone de peau morte qui était la cloque de pus qui s’était formée sous la peau…

Ouf ! On a vraiment eu de la chance !

Tout ça pour vous montrer que les problèmes médicaux peuvent vite devenir dangereux en mer… et qu’il faut donc avoir ce qu’il faut, en terme de connaissances et de matériel, pour parer au plus pressé et résoudre un maximum de situations par soi-même…

 

*antibiotique à large spectre : un antibiotique est une substance qui permet d’empêcher les bactéries de se multiplier (contrairement à la croyance commune qui croît que ça tue les bactéries). C’est votre corps qui fait le travail d’éboueur pour éliminer toutes les bactéries en les tuant et en les digérant, grâce aux globules blancs. Un antibiotique est inefficace sur les virus, il faut alors un médicament appelé « antiviral ». L’intérêt d’un antibiotique à large spectre c’est qu’il agit normalement sur une large palette de bactéries différentes, ce qui est bien pratique quand on n’a pas sous la main de quoi faire des analyses pour savoir qui est l’ennemi ! Mais c’est parfois insuffisant si on a affaire à une souche résistante aux antibiotiques les plus courants. Heureusement pour nous, ce n’était pas le cas pour JB.

Ça mord ?

Pendant les 4 ans que JB et Anik ont passé en Asie, ils n’ont pas attrapé un seul poisson car c’est une région extrêmement peuplée et pêchée. En plus, ce ne sont pas des acharnés de la pêche…

Aussi, lors de la traversée jusqu’à Cocos Keeling et lors de celle-ci avons-nous jeté des lignes de traîne (2) à l’arrière du bateau. Sur la première traversée, à part le barracuda qui a meurtri le doigt de JB, nous n’avons rien eu de sérieux et nous étions un peu déçus. Nous avons donc remis les lignes pour cette deuxième partie de la route. Sans grand succès il faut bien le dire la première semaine…

Mais tout à coup, ça mord ! Le bruit de crécelle caractéristique me fait bondir sur le pont. Je prends donc le fil et commence à ramener doucement, pour laisser le poisson se fatiguer et permettre à JB de mettre des gants et sortir le croc monté au bout d’une gaffe pour hisser le poisson dans le cockpit. C’est qu’on est équipé maintenant ! On ne va pas faire deux fois la même erreur !

Apparaît alors au cours de la remontée une magnifique dorade coryphène, toute parée de bleu électrique et d’or. Je n’ai jamais vu un poisson aussi beau (hormis les poissons de lagon, mais c’est différent : ici c’est un poisson de pleine eau). Et dire qu’elle va perdre toutes ses belles couleurs en l’espace de 5 minutes à peine quand elle va mourir… c’est bien dommage… mais il faut bien manger !

JB la hisse donc d’un bon coup de poignet dans le cockpit où elle saute un peu partout, le temps qu’on lui mette un chiffon sur les yeux pour la calmer et qu’Anik lui pulvérise de l’alcool dans les branchies pour la tuer rapidement. C’est qu’elle fait tout de même un peu plus d’1,2 m la bestiole !

Chacun pose avec le trophée...
Chacun pose avec le trophée...

Chacun pose avec le trophée...

Après les traditionnelles photos avec la bête, c’est moi qui me charge de la vider, la « peler » puis lever les filets, tout cela avec les conseils experts d’Anik et JB. Ensuite c’est Anik qui se charge de finir de préparer les filets pour qu’on puisse les manger (et c’est elle qui les cuisinera aussi d’ailleurs !). Dans le cockpit, on se charge du nettoyage car il y a maintenant du sang de poisson et des écailles un peu partout (y compris sur moi !). Question nettoyage, cela ne prendra pas très longtemps, à grand coups de brosse et de seaux d’eau de mer… pareil pour ma douche. Mais l’odeur, tenace, restera plusieurs jours dans le cockpit ! Et au moins jusqu’au lendemain sur mes mains… Mmmm, l’odeur de poisson dans le nez au petit matin !

En ce qui concerne le goût et la texture, la daurade coryphène est vraiment un poisson délicieux : la chair est très douce, fine et le goût très agréable, que ce soit cuit à la poêle ou au court bouillon avec de la mayonnaise. Nous n’avions malheureusement plus de citron vert pour le faire à la tahitienne… Mais nous nous sommes rattrapés avec la deuxième que nous avons pêché la veille d’arriver à Rodrigues. Et je confirme : crue avec des épices et légèrement cuite par le citron dans lequel elle a mariné un peu, c’est délicieux !

J'ai aussi fait sécher quelques lanières pour voir le goût que cela peut avoir : pas mauvais, même si je préfère quand il est cru ou cuit au court bouillon. Par contre, Odile s'est régalée...

*"Dépiautage" du poisson et levage des filets ; petits morceaux de poisson à sécher
*"Dépiautage" du poisson et levage des filets ; petits morceaux de poisson à sécher
*"Dépiautage" du poisson et levage des filets ; petits morceaux de poisson à sécher
*"Dépiautage" du poisson et levage des filets ; petits morceaux de poisson à sécher
*"Dépiautage" du poisson et levage des filets ; petits morceaux de poisson à sécher
*"Dépiautage" du poisson et levage des filets ; petits morceaux de poisson à sécher
*"Dépiautage" du poisson et levage des filets ; petits morceaux de poisson à sécher

*"Dépiautage" du poisson et levage des filets ; petits morceaux de poisson à sécher

Ma salle de bain pour moi toute seule

Je vous en avais déjà parlé dans mon récit de la première partie de cette traversée : ma salle de bain est fabuleuse. J’aime toujours autant y prendre ma douche le soir, c’est un moment d’apaisement et de contemplation. Mais plus la traversée avance et plus je me trouve de plus en plus seule à l’utiliser… en effet, plus nous descendons vers le sud et plus l’eau se rafraîchit ! Anik a déjà tiré sa révérence et se lave désormais au gant dans le cabinet de toilette, à deux doigts de faire chauffer l’eau pour se laver. JB joue un peu les prolongations, mais avec réticence car étant donné qu’ils sont tropicalisés, l’eau leur paraît plus fraîche qu’à moi ! Mais elle est tout de même à plus de 20°C, je vous rassure !

Je suis donc à chaque fois moqueuse et l’oreille à l’affût quand JB va se doucher, car j’attends avec jubilation le cri de surprise et de saisissement de la première aspersion à l’eau de mer ;)

Pour être honnête, moi aussi cela me saisit un peu, mais pas autant que lui. Je peux ensuite rester de longues minutes mouillée à regarder l’océan sans avoir froid. Et à la deuxième aspersion, l’eau me paraît chaude… comme quoi tout est relatif ! Et ce n’est pas Einstein qui me contredirait !

Placez votre main sur un poêle une minute et ça vous semble durer une heure. Asseyez vous auprès d'une jolie fille une heure et ça vous semble durer une minute. C'est ça la relativité.

Albert Einstein

Nuit de merde

Heureusement, il n’y en a eu que deux durant cette traversée (et non consécutives, chanceux que nous sommes), mais elles laissent au matin une sacrée empreinte sur les visages et sur les corps… Imaginez les belles mines de déterrés que nous pouvons avoir au sortir d’une nuit où nous n’avons pas pu fermer l’œil (associé aux 3h de veille de notre quart)… vous avez alors un bateau fantôme pour la journée entière ! Bienvenue à « Zombieland » !

Comment vous expliquer les bons ingrédients à réunir pour une pure nuit de merde ?

Tout d’abord, c’est une nuit où vous ne dormez pas ou presque. Pourquoi ? À cause de la mer, tout simplement. Les vagues viennent frapper votre coque un peu dans tous les sens (c’est la réputation, non abusée, de l’Océan Indien) ce qui fait que le bateau n’est pas dans un long mouvement berçant mais plutôt dans des embardées irrégulières qui empêchent votre corps de se reposer et de se détendre, tant il essaie de compenser et de rester dans un semblant d’équilibre, même calé dans des coussins comme un pacha oriental.

Ensuite, c’est un vent à la con qui vous oblige à faire tout plein de réglages et fait battre les voiles. Il faut donc faire un certain nombre de manœuvres qui n’aident en rien à la bonne humeur du capitaine ni au repos. En effet, non seulement la drisse du génois qui bat fait claquer la poulie sur le pont juste au-dessus de ma tête, ce qui la transforme rapidement en calebasse, mais les différentes manœuvres font du bruit. Bref, impossible de se jeter dans les bras de Morphée… on en viendrait presque à regretter un bon coup de marteau bien placé qui nous rendrait inconscient quelques heures…

A cela, les jours de chance, vous rajoutez une petite pluie (ou une grosse, d’ailleurs, histoire de bien rigoler) qui complique tout et vous oblige à fermer la descente du bateau, rendant l’air dans celui-ci bientôt irrespirable.

Voici donc la recette (non exclusive, vous pouvez y ajouter les ingrédients de vos souhaits) pour une bonne nuit sans sommeil. Pour les plus joueurs, pratiquez cela plusieurs jours de suite pour tester votre résistance ;)

JB à la table à cartes, en train de remplir le livre de bord et vérifier la route

JB à la table à cartes, en train de remplir le livre de bord et vérifier la route

Arrivée à Rodrigues : une leçon de navigation

Cette dernière journée de navigation est une journée de rêve après une nuit d’insomnie : la mer est calme et accueillante, le soleil est au rendez-vous et le vent nous pousse gentiment dans la bonne direction. J’en profite pour me reposer et profiter du soleil.

Pour le plus grand plaisir d’Anik (qui déteste ça) nous arrivons cette nuit à Rodrigues. C’est moi qui avait vu la première la terre pendant mon quart entre 18 et 20h, j’aurais donc le droit, comme il est de coutume dans la marine, à une double ration de rhum ! Après avoir regardé les étoiles du magnifique ciel de ce soir, je vais me coucher pour dormir un peu avant l’atterrissage de cette nuit.

Il est 23h quand JB me réveille pour que l’on rallume le moteur car les batteries sont à plat. Moi qui avais si bien dormi jusque-là ! Puis on enroule le génois bâbord qui ne tient plus faute de vent. On reste ensuite à observer les lumières qui grandissent à l’horizon, en faisant des allers/retours vers la table à cartes pour observer la carte de Rodrigues et tenter de repérer les points remarquables pour pouvoir nous situer, ainsi que la route effectuée par le bateau.

J’ai toujours entendu dire que la terre avait une odeur particulière lorsque l’on arrivait par la mer, et notamment d’une longue traversée où notre odorat s’est déshabitué des odeurs terriennes. Je hume donc avidement le vent dans une position à mi-chemin entre le setter anglais en arrêt pour une bécasse et « la victoire guidant le peuple » (les seins à l’air en moins). Pour Rodrigues ce sera : varech en note de tête et feu de bois en note de cœur.

Le feu situé sur le platier corallien, sensé être visible à 3 milles est visible à 7, c’est dire si la visibilité est bonne ! Nous voyons aussi « plein » de feux verts et rouges, qui indiquent le chenal creusé dans le platier corallien, permettant d’accéder au quai du port, mais nous n’arrivons pas à distinguer l’entrée. On a beau écarquiller les yeux, compter les bouées lumineuses, regarder la carte… impossible de déterminer avec précision l’entrée du chenal. La bouée verte marquant la partie tribord de l’entrée serait-elle éteinte ? JB me donne alors une autre leçon de navigation :

En bateau, quand c’est "peut-être", alors on n’y va pas

Le capitaine

En effet, si on n’est pas sûr (et en plus il fait nuit noire, donc c’est encore plus difficile) de ce qu’il faut faire, pourquoi risquer le bateau dans une manœuvre hasardeuse ? Nous jetons alors l’ancre pas loin de l’entrée supposée du chenal, dans 8m d’eau, et nous attendrons demain matin pour comprendre comment cela fonctionne et rentrer.

Chose exceptionnelle : pendant toute la manœuvre d’approche, y compris pendant l’ancrage du bateau, pas une trace d’Anik sur le pont. J’ai trouvé ça curieux mais me suis gardée d’aller voir dans sa cabine, pensant qu’elle allait sortir bientôt puis ensuite étant trop occupée pour aller voir de quoi il en retourne. Elle qui était si stressée à l’idée d’une arrivée de nuit ! Une fois les manœuvres faites, JB, un peu inquiet, car cela ne lui ressemble pas, va voir de quoi il en retourne : elle était profondément endormie ! Ah ça, pour une surprise… cela ne lui est jamais arrivé, en 30 ans de navigation…elle devait vraiment être crevée et en confiance alors…

Elle, par contre, est ravie de se réveiller une fois l’atterrissage terminé. C’est tellement plus simple ! JB fait un peu de « planteur » (double ration pour moi !) et nous buvons un verre dans le cockpit en regardant les lumières de Port Mathurin tout proche, tentant de deviner quel est tel ou tel bâtiment. Puis nous allons nous coucher, il est 1h passée…

Lever de soleil sur Rodrigues
Lever de soleil sur RodriguesLever de soleil sur Rodrigues

Lever de soleil sur Rodrigues

Impressions

Cette traversée a été plus éprouvante que la première, non seulement parce qu’elle a été plus longue mais aussi parce que je n’ai pas été bien la première semaine, ce qui m’a fait trouver le temps un peu long parfois. Et puis nous avions des soucis de courant car les batteries tenaient mal la charge, ce qui nous obligeait à limiter notre consommation électrique (donc la lecture la nuit ou la recharge de mon MP3 par exemple, ou encore l’utilisation impossible des ordinateurs pour regarder un film) et à faire 1h de groupe électrogène par jour. Un bruit tellement apprécié quand on est à la voile…

Mais j’y ai retrouvé un certain nombre de sensations expérimentées lors de la première traversée comme cette précieuse relaxation du cerveau (cet unique présent à vivre, simplement), cette contemplation sans réserve de la nature et ces moments de ravissement simples comme la douche, le vent sur ma peau ou l’observation des étoiles. Egalement cette sensation si particulière de se savoir au milieu de nulle part, loin de tout…

A la fin de cette traversée, je suis très heureuse d’avoir expérimenté tout cela, ne sachant si j’aurai un jour l’opportunité (à moi de me la créer si je le veux !) de vivre à nouveau cela. Il me semble que oui mais seul l’avenir me le dira. Je n’ai pas l’impression d’avoir réalisé quelque chose d’extraordinaire malgré tout ce que je peux entendre autour de moi, j’ai juste été sur un voilier, accompagné de gens sympathiques et compétents ; nous n’avons pas eu à essuyer de tempête. Ce voyage sur la mer a aussi été un voyage intérieur et j’en sors changée. J’espère désormais être plus en adéquation avec ma nature profonde. L’avenir me le dira !

 

J’arrive maintenant sur ma première île tropicale (je ne suis jamais allée aux Antilles) : Rodrigues, me voilà !

Pêle-mêle de quelques moments...
Pêle-mêle de quelques moments...
Pêle-mêle de quelques moments...

Pêle-mêle de quelques moments...

* photos prises par Anik ou JB

Tag(s) : #En voilier dans l'Océan Indien
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